Pour vous transmettre les informations les plus précises et actualisées possibles sur les négociations post Brexit actuellement en cours, nous avons posé quelques questions à Eric Banel. Nommé directeur des pêches maritimes et de l’aquaculture quelques jours avant le Conseil des ministres européens de décembre il baigne donc quotidiennement dans le sujet depuis trois mois.
Pouvez-vous nous présenter rapidement votre par- cours avant votre nomination au poste de directeur des pêches maritimes et de l’aquaculture ?
La mer, c’est toujours une affaire de passion. J’ai choisi très tôt une carrière de marin. Administrateur des affaires maritimes, mon métier est d’être au service du monde de la mer. J’ai eu la chance de pouvoir le faire à des postes variés sur le littoral, en outre- mer ou à Paris, dans le public et dans le privé. Ce qui me frappe, c’est la très grande diversité de nos métiers. C’est une richesse extraordinaire.
Vous avez pris vos fonctions le 1er décembre 2020 et avez tout de suite été plongé dans le grand bain avec la préparation et la participation au Conseil Pêche des ministres européens qui s’est déroulé du 15 au 17 décembre 2020 à Bruxelles. Quels étaient les enjeux de ce dernier pour la pêche française ? Quel bilan tirez-vous de ce Conseil ?
C’était une plongée en eaux troubles mais j’ai pu m’appuyer sur des équipes de très bon niveau. J’ai aussi travaillé en lien étroit avec le monde professionnel, notamment les organisations de producteurs. Ma méthode, c’est le dialogue et la transparence. Ensemble, nous avons relevé le défi de ce Conseil de fin d’année rendu effectivement compliqué par le contexte du Brexit.
Tout d’abord et pour la première fois, il a fallu sortir de la négociation les stocks partagés avec le Royaume- Uni. Cela représente une centaine de stocks, c’est-à- dire l’essentiel de nos pêcheries de la mer du Nord, de la Manche et du nord du golfe de Gascogne. Pour permettre la négociation à venir sur ces stocks, la Commission a accepté la mise en place d’un « roll over », un prolongement des quotas attribués en 2020. Parmi nos autres enjeux, celui du cabillaud en mer Celtique nous a beaucoup mobilisé et nous avons imposé une lecture positive du rôle de la régionalisation dans la Politique Commune des Pêches. C’est une grande nouveauté puisque les États riverains ont pu se mettre d’accord sur des mesures alternatives à ce qui avait été décidé l’an passé, et dont on se souvient des conséquences catastrophiques pour la pêche française. Une fois ces points traités, le principal enjeu était de négocier le meilleur accord possible pour la Méditerranée, et il nous aura fallu deux jours et deux nuits pour y parvenir. L’accord trouvé permet de mettre en œuvre le plan de gestion Westmed dans des conditions satisfaisantes pour nos professionnels de l’amont et de l’aval.
Si nous avons réussi à faire bouger les lignes pendant ce Conseil, c’est parce que nous avons su le préparer en amont avec la Commission et parce que nous y sommes allés groupés, avec d’autres États, notamment l’Espagne, les Pays-Bas et le Portugal.
Quelques jours plus tard, le 24 décembre 2020, un accord a finalement été conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur leurs futures relations commerciales post Brexit. Pouvez- vous nous expliquer le contenu de celui-ci et ses conséquences pour le secteur de la pêche français ? Quel accompagnement est prévu pour ce dernier ?
Nous avions préparé un non-accord et l’accord du 24 décembre a plutôt été une bonne surprise. Je suis cependant très clair, il y a un avant et un après. Nous n’avons pas décidé le Brexit et nous avons toujours su et répété que cette décision serait lourde de conséquences pour nous tous. Nous nous y sommes préparés, mieux que les Britanniques apparemment, mais il n’en reste pas moins que le choc a été violent. L’accord est complexe et modifie profondément notre manière de travailler.
Premièrement, les accès aux eaux du Royaume-Uni sont désormais soumis à 4 types d’autorisations : la zone économique exclusive (ZEE), les 6-12 miles, Jersey et Guernesey. Les 3 dernières sont soumises à des antériorités, dont la vérification est longue et implique de nombreux allers-retours entre la Commission et les autorités britanniques.
Ensuite, les conditions d’importation et d’exportation entre le Royaume-Uni (qui est maintenant un État tiers) et l’Union européenne sont nécessairement plus lourdes, et leurs effets sur l’ensemble de la filière aval sont dévastateurs.
Enfin, j’y reviendrai, les quotas doivent être négociés dans un nouveau cadre bilatéral, avec de grandes incertitudes sur l’issue.
Ce dont nous manquons dans ce contexte, c’est de visibilité, tant pour nos professionnels que pour nos politiques publiques. Il faudra du temps pour stabiliser ce nouveau dispositif, et c’est pourquoi la France avait annoncé dès décembre la mise en place d’un plan d’accompagnement. Si ce plan a dû être adapté à l’accord de décembre, en concertation avec les organisations professionnelles, il est aujourd’hui prêt. Sa mise en œuvre repose sur des arrêts temporaires, qui, contrairement au dispositif Covid, intègrent le reste à charge et sur une indemnité de compensation de chiffre d’affaires (IPCA) pour l’amont et pour l’aval. Nous n’attendons plus que le feu vert de la Commission européenne.
Suite à cet accord, les ministres européens se sont réunis lors des Conseils pêche des 25 janvier et 22 février sans aboutir à la fixation des TAC 2021 définitifs pour les stocks partagés avec le Royaume-Uni. Pouvez-vous nous expliquer quel était alors l’objet de ces Conseil ? Quand et comment les TAC 2021 seront-ils fixés ? Quelles sont les priorités de la délégation française ?
Le système a totalement changé. Les quotas portant sur les stocks partagés avec le Royaume-Uni ne seront plus fixés par le Conseil. Ils feront désormais l’objet d’une négociation bilatérale entre deux entités souveraines, la Commission et le Royaume-Uni, à l’image de ce qui se passe déjà pour la Norvège. Le Conseil des ministres européens du 25 janvier a validé le mandat de négociation de la Commission, et celui du 22 février a permis de le préciser, après un premier bilan par la Commission de ses échanges avec Londres.
Nous avons 3 priorités. La première porte sur la méthode et nous engage pour l’avenir : nous voulons que les États soient étroitement associés par la Commission à la négociation. La deuxième, c’est la défense de nos stocks à enjeux (églefin, cabillaud, merlan, raie bru- nette, dorade rose, etc.). La troisième priorité, c’est le maintien de règles du jeu équitables entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, et nous avons à cet égard des points d’attention forts comme sur les flexibilités interzonales.
Sur tous ces sujets, la Ministre a porté un discours fort, en rappelant que toute décision devait aussi tenir compte des conséquences économiques et sociales sur nos filières.
Outre le Brexit, dont l’actualité et les conséquences vont occuper la filière pendant sans doute de nombreux mois, quels sont selon vous les grands sujets et défis auxquels la filière va devoir faire face dans les mois à venir ? Dans les années à venir ?
Nous sommes à un moment charnière. Nous devons à la fois nous concentrer sur le court terme, sur l’urgence, et en même temps préparer l’avenir. Dans notre métier, c’est très important de garder du temps pour se projeter à 5 ou 10 ans, et de construire une vision stratégique de ce que sera la pêche de demain. Le grand défi à venir, c’est la réforme de la Politique Commune des Pêches, qui doit nous conduire à penser et à agir différemment. La présidence française de l’Union européenne nous offrira l’opportunité de poser ce débat dès 2022. Au service de cette poli- tique, nous sommes également en train de refondre les outils financiers de cette politique, en premier lieu le Fonds européens pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Cela suppose de définir de nouvelles règles de gestion avec les régions, et de préciser nos grands axes de travail : la connaissance, la transition écologique et énergétique, la formation et l’attractivité des métiers, la sécurité des conditions de travail… Avec le plan de relance et le futur FEAMP, nous avons, pour la première fois depuis longtemps, de réels moyens financiers. J’y vois aussi une opportunité réelle de construire une pêche plus durable, plus sûre et plus sociale.