Pierre Karleskind, député européen (Renew Europe) membre de la Commission Pêche du Parlement européen a accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours en quelques lignes?
C’est fraîchement diplômé de l’Ecole Polytechnique que le Francilien que je suis est arrivé en Bretagne pour poursuivre des études d’océanographie. Celles-ci me conduisent à sou- tenir ma thèse de doctorat dans ce domaine en 2008. C’est cette même année que je deviens consultant en sciences et techniques de la mer chez Altran (jusqu’en 2018) et également conseiller municipal de Brest. Elu conseiller régional de Bretagne, délégué aux affaires européennes, je deviens vice-président de la Région en charge de la Mer et de l’Europe en 2012. En 2014, je deviens également vice-président de Brest métropole. En 2018, je rejoins le cabinet du président de l’Assemblée nationale, pour le conseiller sur les affaires maritimes. Je suis élu député européen en 2019 lors des dernières élections.
Quels sont les dossiers prioritaires de votre mandature concernant la pêche européenne ? Y-a-t-il des priorités particulières pour la pêche française ou bretonne ?
Plusieurs dossiers seront d’importance sur la mandature :
- Les deux dossiers prioritaires pour cette mandature, ou tout du moins pour la première moitié de la mandature, sont bien entendu le règlement FEAMP 2021-2027 et le règlement sur le contrôle des pêches. Je suis d’ail- leurs responsable de négocier le FEAMP pour mon groupe politique, Renew Europe.
- La négociation d’un accord de pêche avec le Royaume- 2 Uni après le Brexit sera également une priorité. Les conséquences du Brexit sur la pêche française et bretonne en particulier pourraient être très importantes si un accord avec un accès réciproque aux eaux n’était pas trouvé. Dès que le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, nous devrons démarrer les négociations sans tarder.
J’ai d’ailleurs à plusieurs reprises rappelé qu’un accord commercial entre l’Union et le Royaume-Uni doit être conditionné à l’accès aux eaux britanniques pour les na- vires européens. Le secteur de la pêche ne peut pas être une variable d’ajustement dans les négociations avec les Britanniques. - Mais ma priorité transversale durant toute la mandature sera de réconcilier les pêcheurs avec l’Union européenne. Mise en œuvre de l’obligation de débarquement, règlement sur le contrôle des pêches, mesures techniques, tous ces éléments bouleversent considérablement le quotidien et le métier des pêcheurs.
Ajoutez à cela le Brexit et vous risquez d’atteindre le trop- plein. Le secteur a besoin de temps et de prévisibilité pour s’adapter et les décideurs de l’Union européenne doivent le comprendre. Ce n’est certainement pas en ajoutant des mesures techniques supplémentaires dans les TAC et quo- tas qu’on atteindra cet objectif de prévisibilité.
La Politique Commune de la Pêche (PCP) a fait l’objet de nombreuses réformes au cours de la précédente mandature et en particulier pendant l’année écoulée. Dans ce contexte mouvementé, plusieurs questions restent en suspens pour les professionnels de la pêche : régionalisation de certaines mesures, superposition de règlements pas toujours compatibles ou à l’inverse, vide juridique créé par l’abrogation de textes. Votre mandature apportera-t-elle plus de stabilité et de lisibilité ou bien d’autres réformes sont-elles prévues ? Si oui, lesquelles ?
La Politique Commune de la Pêche (PCP) a été réformée en profondeur en 2013 avec pour objectif la gestion au rende- ment maximal durable de tous les stocks en 2020. L’obligation de débarquement, le règlement sur les mesures techniques et les plans de gestion pluriannuels sont des conséquences de cette réforme et servent à atteindre cet objectif. Toutes ces mesures ont d’ailleurs été mises en œuvre très récemment. Il reste encore le règlement sur le contrôle des pêches qui entend répondre à la nécessité de modernisation, de simplification et d’harmonisation du contrôle des pêches dans l’Union. Le secteur aura besoin de temps pour s’adapter à ces nouvelles mesures donc il n’est pas nécessaire de l’acculer inutilement. Toutefois, la PCP de 2013 a des limites et ne permet pas de répondre aux grands dé s environnementaux. Les pêcheurs le constatent tous les jours : le réchauffement climatique et la pollution des eaux ont des effets sur la ressource. La pêche n’est pas l’unique facteur de pression sur la ressource et les écosystèmes marins. Face à ce constat, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre des années avant d’avoir une PCP qui prenne en compte ces éléments déterminants. J’appelle donc à une révision de la PCP en 2022, après avoir reçu les résultats de l’analyse de la PCP actuelle prévue par la Commission européenne. Nous avons besoin d’une PCP qui réponde aux enjeux climatiques d’aujourd’hui et de demain.
Lors d’une récente audition au Parlement européen, plusieurs parlementaires ont vivement critiqué l’article 15 de la PCP, qui instaure l’obligation de débarquement, pour de très nombreuses raisons. Partagez-vous ces critiques? Croyez-vous qu’une révision de cet article soit possible durant cette mandature?
Si on souhaite une révision de l’obligation de débarquement alors il faudra automatiquement réviser la PCP. C’est une des mesures phares de la réforme de 2013. Cette audition, à laquelle j’ai bien entendu participé, était révélatrice d’un problème : l’obligation de débarquement dans l’état actuel ne fonctionne pas. Il y a plusieurs raisons à ceci. Première- ment, nous n’avons pas laissé assez de temps aux professionnels du secteur pour s’adapter à ce changement drastique de leur activité. Deuxièmement, les conséquences socio-économiques pour les pêcheries mixtes, comme les espèces à quotas limitants ont, je le crois, été sous-estimées. Troisièmement, on a perdu de vue que l’objectif de l’obligation de débarquement est l’amélioration de la sélectivité. Quand j’entends la Commission, j’ai souvent l’im- pression que l’obligation de débarquement est devenue l’objectif et non pas un moyen, parmi d’autres, de parvenir à une pêche plus sélective. Cela ne peut évidemment pas fonctionner de cette manière. Une pêche plus durable et plus sélective se fera avec le secteur et nous devons en être conscients. Il faut analyser tous les moyens pour améliorer la sélectivité au lieu de nous focaliser uniquement sur l’obligation de débarquement.
Que pouvez-nous dire sur la nomination du lituanien Virginijus Sinkevicius en tant que Commissaire européen à l’Environnement, aux Océans et à la Pêche ? Avez-vous déjà eu l’occasion d’échanger avec lui ? Sera-t-il un atout pour faire valoir les intérêts de la pêche européenne, française ?
Virginijus Sinkevicius m’a paru, lors de son audition et lors de notre rencontre, déterminé à mener à bien ses différentes missions. Son portefeuille environnement, océans et pêche est gigantesque et je lui ai rappelé qu’il ne fallait pas que la pêche se retrouve au second plan. Il s’est montré réceptif. Il m’a promis de venir sur le terrain rencontrer les acteurs de la pêche. Je l’ai d’ailleurs invité en France.
Lors de la précédente mandature, le président de la Commission Pêche du Parlement européen, Alain Cadec, était non seulement Français mais Breton. Une autre Bretonne, Isabelle Thomas en était également membre. La présidence est désormais assurée par le Britannique Chris Davies. Quelles conséquences pour la pêche française et bretonne dans les négociations de manière générale et en particulier dans le contexte du Brexit ?
La France et en particulier la Bretagne étaient davantage représentées lors de la mandature précédente au sein de la Commission de la pêche. Avoir un président français et qui plus est breton était très certainement un atout. Mais je vous rassure, même si je suis le seul breton de la com- mission de la pêche, les problématiques des pêcheurs bretons sont relayées auprès de mes collègues. Effectivement, un Britannique, Chris Davies a été élu président de la Commission de la pêche. Toutefois, je rappelle qu’il est complètement opposé au Brexit. À présent, il est très probable qu’un Brexit avec accord ait lieu le 31 janvier. Les députés européens britanniques quitteront alors le Parlement européen. Nous devrons à nouveau élire un président de la Commission de la pêche. Les enjeux pour la pêche française dans le contexte du Brexit seront considérables. Il faudra donc redoubler de vigilance à cet égard lors de l’élection de notre nouveau président.
En tant que vice-président de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, participez-vous aux travaux sur le Brexit et notamment sur la question du marché et des droits de douane ? Y-a-t-il des discussions spécifiques pour le secteur de la pêche ?
Les travaux sur le Brexit en commission du marché intérieur n’ont pas encore réellement débuté. Ça sera plutôt dans le cadre des négociations des futures relations avec le Royaume-Uni que nous serons sollicités, et en particulier sur l’aspect douanier. Nous veillerons tout particulièrement à ce que la frontière irlandaise ne devienne pas une passoire à travers laquelle des produits non-conformes pénètrent dans notre marché intérieur, au détriment de la protection des consommateurs. De toute évidence, nous devrons également trouver un accord commercial avec le Royaume-Uni et déterminer dans quelles mesures les Britanniques auront accès au marché intérieur. Comme je l’ai mentionné précédemment, un accord commercial doit être conditionné à l’assurance d’un accès aux eaux britanniques pour les navires européens. Ma double casquette de membre de la Commission de la pêche et de vice-président de la Commission du marché intérieur sera très certainement utile pour mener ce combat.
Depuis votre départ du conseil régional de Bretagne, le président de région, Loïg Chesnais-Girard a pris en charge votre portefeuille de vice-président aux Affaires maritimes. Comment s’est faite la passation et suivez-vous toujours certains dossiers régionaux? Quels sont les travaux de la commission Pêche à mener en cohérence avec la stratégie Bretagne Horizon 2040 et les objectifs de la PCP ?
Le président de la Région Loïg Chesnais-Girard a proposé une articulation très intéressante pour la gestion des questions maritimes dans cette grande région maritime qu’est la Bretagne : il porte l’impulsion politique et localement, des conseillers régionaux, comme Gaël Le Saout, Gaël Le Meur, Martin Meyrier pour n’en citer que certains, relaient et organisent le lien avec les enjeux locaux. Nous nous réunissons régulièrement pour échanger sur les dossiers maritimes dans le “ quart mer ” autour du président et avons ainsi une approche allant du terrain à la dimension européenne. Pour répondre à votre question sur la stratégie pêche Bretagne Horizon-2040, cette organisation va permettre de faire entrer en résonance mon travail au Parlement avec les enjeux que cette stratégie porte.