Cette rubrique a comme objectif d’apporter des éléments de réponse objectifs à différentes questions qui peuvent se poser sur la ressource et sur le métier de la pêche. Pour le deuxième épisode de « La pêche en questions », Alain Biseau, chargé de mission à Ifremer, coordinateur des expertises halieutiques (Département Ressources Biologiques et Environnement) et membre du comité d’avis du CIEM a accepté de répondre à nos questions sur le renouvellement des populations halieutiques.
Quelles sont les conditions qui permettent d’assurer le renouvellement d’une population ?
Le renouvellement d’une population est assuré lorsque les naissances compensent les décès. Une population est donc en équilibre lorsque les petits poissons issus de la reproduction viennent remplacer les poissons, pêchés ou morts de manière naturelle (prédation, vieillesse…).
Assurer le renouvellement, l’équilibre, d’une population est indispensable à la durabilité de la pêche ; encore faut-il que la taille de la population soit compatible avec les objectifs de gestion et permette la rentabilité économique. Evidemment, plus la population est réduite et plus les risques d’effondrement de la ressource et de la pêcherie existent (ce qui ne signifie pas extinction de l’espèce). Il y a donc un seuil minimal de biomasse en dessous duquel il ne faut pas tomber : c’est l’approche de précaution. Les objectifs de gestion actuels qui visent le RMD impliquent, eux, de maintenir les populations à une taille supérieure à ce seuil minimum.
Quels sont les facteurs qui peuvent avoir un effet (positif/négatif) sur le renouvellement d’une population et de quelle manière ?
Les facteurs qui affectent la dynamique d’une population et donc son renouvellement sont nombreux. La pêche en est un parmi d’autres ; les facteurs environnementaux comme la qualité de l’eau, des habitats et de l’écosystème en général (notamment la disponibilité en nourriture, la présence ou non de prédateurs, la direction des vents et des courants assurant le transport des œufs et larves) sont également déterminants.
La pêche est souvent la variable d’ajustement car plus facile à encadrer que les autres facteurs environnementaux conditionnant le renouvellement. Il existe peu d’actions humaines envisageables pour influer positivement sur le renouvellement d’une population (difficile d’envisager de mettre des glaçons dans la mer pour la refroidir comme le faisait remarquer (avec raison !) un ancien président du CNPMEM) hormis limiter les impacts négatifs (réduction de l’effort de pêche, fermeture spatio-temporelle). Dans certains cas particuliers néanmoins, la mise en place de récifs artificiels peut permettre d’améliorer le renouvellement des populations, soit en limitant la pêche, soit en mettant à disposition des habitats favorables au développement des œufs et larves.
Quelle est la relation entre la biomasse de reproducteurs et le niveau du recrutement ?
Pour qu’il y ait des bébés, il faut des parents. Pas de reproducteurs, pas de nouvelles naissances et donc pas de recrutement, c’est la seule certitude. Mais, au-delà d’une certaine quantité, une augmentation du nombre de reproducteurs ne conduit pas systématiquement à une augmentation des recrues, lorsque certaines conditions de milieu induisent de fortes mortalités des jeunes stades. A contrario, on a souvent observé que lorsque le nombre de reproducteurs est plus faible, le taux de survie des œufs et larves est meilleur. Il n’existe donc pas, au-delà d’un certain seuil, de proportionnalité directe entre la biomasse des reproducteurs et le recrutement.
En dessous de ce seuil, le risque d’effondrement (très faible niveau de recrutement et donc absence de renouvellement du stock) est élevé. On parle alors de seuil de précaution ou de limite biologique de sécurité.
Y a-t-il une période optimale (par rapport à la reproduction) pour pêcher ? Autrement dit : quand pêcher ? avant, pendant ou après la période de reproduction ?
Un poisson pêché avant, pendant ou après la période de reproduction est avant tout un poisson mort. Pêché avant, il ne contribuera pas à la reproduction de l’année, mais pêché après, il ne contribuera pas à celle de l’année suivante… Du strict point de vue de la quantité de reproducteurs, il convient d’encadrer/de limiter les prélèvements totaux annuels pour assurer une quantité suffisante de reproducteurs ; la période de capture importe peu.
La pêche sur frayère/en période de reproduction est-elle compatible avec le renouvellement du stock et une exploitation au RMD ?
A partir du moment où la quantité de reproducteurs est maintenue à un niveau suffisant et que le processus de reproduction n’est pas affecté, la pêche sur frayère ou en période de reproduction n’est pas incompatible avec le renouvellement du stock et son exploitation au RMD.
La pêche sur frayère fait-elle courir un risque d’effondrement aux stocks halieutiques ?
Pour nuancer la réponse précédente, même si le niveau de reproducteurs est maintenu à un niveau suffisant à l’échelle du stock, la pêche sur frayère peut présenter deux risques : le premier est la perturbation par la pêche (mais c’est vrai aussi pour toute autre activité anthropique) du processus de reproduction (dispersion des bancs, interférence acoustique…). Le deuxième, c’est le possible épuisement local (on capture tous les poissons d’une frayère) qui conduirait à un appauvrissement de la diversité génétique des populations concernées et donc de leur potentiel d’adaptation.
Pour résumer, la pêche sur les frayères, lorsque les géniteurs se regroupent, ne peut s’envisager qu’avec la garantie de maintenir un niveau suffisant de reproducteurs et de diversité génétique. Elle ne peut donc se concevoir sans un encadrement strict.
Existe-t-il des seuils critiques en termes d’exploitation à l’approche desquels les gestionnaires doivent adopter des mesures de gestion spécifiques à la période de reproduction ?
Lorsqu’une ressource est très surexploitée (quantité de reproducteurs très faible) tous les moyens doivent être déployés pour assurer sa reconstitution. La protection ou la restauration des zones d’intérêt halieutique (frayères, mais aussi nourriceries) constitue un des moyens. Les mesures prises en ce cas doivent alors concerner toutes les activités anthropiques (la pêche et les autres).
Par ailleurs, lorsque plusieurs métiers ciblent un stock, certains pendant la période de reproduction avec des captures importantes, d’autres tout au long de l’année avec des captures moindres, la nécessaire réduction des captures totales est souvent plus facile à obtenir (et impacte en général moins de navires) en limitant la pêche lors de la période de reproduction, et donc l’activité d’un type de métier.
Quels sont les avantages et inconvénients de la pêche sur frayère ?
Il faut distinguer pêche sur frayère (zone et période où les poissons se concentrent pour la reproduction) et pêche en période de reproduction (sans concentration de reproducteurs).
Pêcher en période de reproduction ne présente ni avantage ni inconvénient (sauf ceux éventuellement liés à la qualité du poisson et/ou à sa valorisation) à condition que le maintien d’une quantité minimale de reproducteurs soit assuré par une limitation globale des captures et/ou une bonne sélectivité. Concernant la pêche sur frayère, on a déjà parlé des inconvénients (perturbation comportementale, risque d’appauvrissement génétique), mais il peut exister des avantages : pour les navires ciblant les concentrations de poissons (notamment pendant la période de reproduction) la quantité de poissons capturée par unité d’effort (et donc par litre de gazole) est supérieure à celle capturée le reste de l’année. Pour autant, l’activité de ces pêches ciblées sur des concentrations peut impacter fortement celle des autres métiers, notamment ceux qui pratiquent toute l’année ; sans parler de la pêche récréative.
Il y a donc des avantages et des inconvénients. La gestion des pêches doit concilier les trois piliers du développement durable : environnemental, économique et social. Pour les pêches séquentielles (captures d’un stock réalisées par plusieurs métiers qui se succèdent dans le temps) un partage des possibilités de pêche entre tous les usagers (voire un partage de l’espace) semble indispensable. Ce partage ne relève pas de la biologie mais d’une décision politique.
Connaît-on la part des captures réalisées en période de reproduction à l’échelle de l’UE par rapport aux captures totales ?
Non, pas vraiment. Cependant, les captures étant réalisées, le plus souvent, tout au long de l’année, celles effectuées pendant la période de reproduction constituent une part importante des captures totales.